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La mort des jumeaux La lune rôdait au milieu de la nuit. Blafarde, d’un teint laiteux. Elle était dans les coins et les recoins de la grande propriété aux murs élevés, crêtés de tessons de bouteilles. Elle illuminait la parcelle, pendant que la fête arrivait à son comble. Des danseurs évoluaient sous des exhortations frénétiques. Les musiciens rivalisaient de virtuosité. Des instruments de musique traditionnelle animaient l’évènement. Des jumeaux étaient nés ! A minuit, les jumeaux apparurent, nus comme des vers. Ils avaient été enduits du tukula, le kaolin blanc et ocre. Sur le front. Sur le ventre. Dans le dos. De larges rayures bardaient leurs joues qu’ils avaient replètes. Ils étaient pareils. Identiques à tous points de vue. L’un joufflu et dodu. L’autre dodu et joufflu. Mua Mbuyi, surnommée en langue des Blancs : mère-double portait les nouveau-nés, à bout de bras, chacun agrippé à son épaule. Elle dansait, le visage peinturluré, les yeux en feu, vifs et hagards. Ses mamelles lourdes de la double maternité, souquaient à gauche, tanguaient à droite de son buste, retenus par un large pagne plié. Son ventre nu, bombé, sa face, ses bras et ses jambes portaient les couches épaisses du kaolin, tranchantes. On l’exhortait, on la gourmandait. Des propos scandaleux fusaient. Sans pudeur. C’était ça, la coutume ! Shambuyi, le père-double; suivait sa matrone et ses moutards. Tout son corps était recouvert des mêmes marques d’argile ocre. Plus leste, de grande taille, il se balançait sur ses perches, déjà émoustillé par l’alcool frelaté qu’il avait ingurgité pour la circonstance. Ses prunelles en feu, le chant à la bouche, il était sous le contrôle du rythme envoûtant. On l’acclamait, on vantait sa virilité éprouvée. On le cancanait. C’était ça, la coutume. Les jeunes gens du clan ne voulaient pas être en reste. Ils avaient formé un cercle où ne s’aventuraient que les hardis compétiteurs. Qui s’adonnaient à démontrer leurs prouesses dans la foule en liesse. Indifférents à l’ambiance frénétique autour d’eux, les jumeaux dormaient maintenant côte à côte dans leur grand berceau d’oseille. Un moustiquaire de gaze transparent les enveloppait pour les mettre à l’abri des piqûres des insectes, mais aussi des regards et des mains des jaloux, des envieux et des sorciers, prêts à frotter un méchant gris-gris sur la peau tendre des nouveau-nés. Ce geste criminel fait sortir des pustules, de la gale ou de la gangrène sur l’épiderme. Il est prisé par les épouses rivales. D’où, une garde rapprochée autour des nouveau-nés, par une meute de cousins fidèles, prêts à en découdre avec n’importe qui tenterait d’approcher leurs protégés. Tout à coup, le territoire de sécurité fut envahi par la horde de nouveaux danseurs. Le berceau arraché et ballotté par mille bras. Projeté en l’air par des mains alertes, recueilli dans des paumes hospitalières Toute la tragédie humaine transfigurée dans un ballet fou. Une chorégraphie mélodramatique. Fantasmagorique. Enfin, on déposa le double colis assoupi. La foule se dispersa à nouveau, puis la danse et le chant firent place à un chœur uniquement composé par les Anciens du clan. Le visage fripé, des vieillards dandinaient. Mais ils avaient encore le pied leste. Leur air grave tranchait sur cette atmosphère de gaieté qui entourait les environs. Le temps pour les jeunes de se retirer. La scène initiatique commençait. Moment crucial. Les Anciens étaient en train de conjurer le sort, de jeter l’anathème aux sorciers présents ou absents. Un à un les danseurs tombaient, leurs joies et leurs frénésie vaincues. Un à un ils endormaient leurs corps fatigués sur les ventres des tam-tams abandonnés. Cinq ans après. A cinq ans, la ressemblance des jumeaux restait toujours aussi saisissante. Quand ils étrennaient leurs nouvelles culottes, coiffaient leurs casquettes pour accompagner les parents au culte dominical, ils étaient tels deux gouttes d’eau. Comme la tradition le veut, ils furent appelés Kanku, le jumeau aîné et Mbuyi, le puiné. Au fil des jours, la ressemblance des enfants d’abord une fierté, devint progressivement un malaise grandissant. En effet, dès qu’ils furent précocement conscients de la confusion qu’ils créaient autour d’eux, les enfants s’employèrent continuellement à épaissir l’embarras. Les parents en firent les frais. - Kanku ! interpelait père-double face à un jumeau. - Non, je ne suis pas Kanku. Moi, c’est Mbuyi. - Mbuyi! appelait mère-double apercevant un jumeau - Non, je ne suis pas Mbuyi, moi, c’est Kanku. Ce qui avait prenait l’allure d’une simple méprise devint rapidement une quotidienne éprouvante pour les parents. Ce qui était un jeu au départ pour les enfants se mua en un plaisir malicieux et sarcastique. Les jumeaux ne s’empêchaient plus de rire aux dépens de leurs géniteurs. Ils les firent réellement souffrir, surtout la mère. Le scénario de brouillage identitaire continuait. Les parents toujours se méprenaient et les enfants s’en donnaient à cœur joie, s’esclaffant derrière leur dos. Un jour, un des jumeaux retourna de ses jeux, avec une longue estafilade encore sanguinolente, sous le menton, causée par un bris de bois ou une épine florale. Kapi, la grande sœur des jumeaux aperçut la blessure et s’empressa de soigner son petit frère. Pendant qu’elle imbibait l’ouate d’alcool, une pensée s’incrusta dans son esprit. Cette écorchure me donne une idée se dit-elle. Kapi était témoin des efforts de ses parents pour identifier ses petits frères et elle non plus n en menait pas large. L’occasion était trop belle. Elle imagina une stratégie pour démasquer les futés frères. - Qu’est-ce que tu t es fait au menton, mon petit bonhomme. -Ce n est rien, Ya Kapi. -Où as-tu laissé Kanku ? -Je l’ai laissé devant la maison quand je suis sorti. Le jumeau innocemment s’était trahi. Vous voilà pris dans la trappe, mes petits coquins. Rira bien, qui rira le dernier. Le jumeau avec écorchure était Mbuyi et celui sans écorchure était Kanku. Facile. Il suffisait de cet incident pour mettre fin à la constante méprise. Elle se promit d’en parler à sa mère le plus vite possible. Ne s’empêcha pas de regarder le gamin droit dans les yeux comme pour lui signifier que la comédie était bel et bien finie. Dès les soins terminés, Mbuyi disparut. Kapi retrouva sa mère à la cuisine et lui narra le fait. Le repas du soir regroupait toute la famille. Ce soir-là, deux personnes étaient impatientes d’être à table : Kapi et sa mère. Dix minutes s’écoulèrent, les jumeaux se faisaient attendre. Ce n’était pas dans leurs habitudes. Puis, le premier vint. Deux regards inquisiteurs se braquèrent sur le menton du gamin. Kapi et sa mère poussèrent un soupir de soulagement. La blessure était bien visible. Mbuyi vint s’attabler à côté de sa sœur. Puis, le deuxième jumeau vint à son tour. Kapi et sa mère ne purent retenir un cri de déception. Elles n’en croyaient pas leurs yeux. Le deuxième jumeau avait sous le menton la même estafilade. Même taille, même rougeur. Aucun doute possible. C’étaient des blessures... jumelles. Après cet incident, Kapi, la grande sœur des jumeaux s’était enfoncée dans sa solitude. On se faisait beaucoup de soucis pour les jumeaux, malgré leur espièglerie. Kapi en écumait de rage. C’était la période de’avant le Vendredi-Saint, les parents laissèrent les jumeaux et leur sœur pour le culte vespéral, promettant de rentrer vite avant le repas. Deux heures ne s’étaient pas écoulées qu’une panne de courant intervint sur tout le quartier. Dans la maison abandonnée par les parents, dans cette obscurité épaisse, les jumeaux eurent très peur. Ils avaient laissé leur sœur à la table à manger. Ils s’y précipitèrent donc pour leur sécurité. Ils l’encadrèrent sans ménagement. Ils se serraient contre elle, preuve qu’ils ne supportaient pas les ténèbres. Au lieu de les calmer, Kapi les rabroua vertement. Une folle envie de les souffleter à tour de bras dans cette obscurité complice. La gifle partit à toute volée, sur la droite. Elle partit à toute volée sur la gauche. Deux cris de douleur, des pleurs. Mais ils étaient toujours serrés contre elle, libérant leurs écluses. Kapi savoura sa victoire. Les pleurs cessèrent brutalement et surprirent Kapi. Les jumeaux disparurent comme par enchantement. Le temps s’égrenait et Kapi s’inquiétait. Les jumeaux risquaient de se blesser, de tomber sur quelque obstacle dans le noir. Elle voulut se lever. Des bruits indistincts la retinrent sur place. On bougeait sur sa gauche. On bougeait sur sa droite. Des mouvements furtifs qu’ elle identifia comme des pas feutrés et rapides d’enfants, ou d’animal. Elle avait dix ans et n’allait pas se conduire comme un pleutre. Tout d’un coup, elle sentit quatre petites mains immobilisant sa cuisse gauche et sa cuisse droite. Avant qu’elle n’ait dégagé les frêles prises, tout son corps réagit à la double douleur. Des dents pénétraient dans chaque partie de son postérieur et s’y plantaient avec une telle rage qu’elles traversèrent le léger vêtement, entamèrent la peau et arrachèrent des tissus d’étoffe et de chair. Elle poussa un hurlement d’écorchée vive. En moins de temps qu’il n’en faut, les vampires disparurent. L’électricité inonda la maison de sa clarté blanche et sécurisante. Kapi se tâta les deux fesses ou un double filet de sang dégoulinait. L’’acte était plus qu’un avertissement. Elle se le tint pour dit. Elle ne faisait pas le poids devant les jeunes monstres. Quand le couple revint à la maison, Kapi ressassait encore sa colère. Les jumeaux ne pipèrent mot de l’incident aux parents. Dix ans après Kanku et Mbuyi s’occupaient beaucoup d’eux-mêmes. Ils grandissaient toujours en présence l’un de l’autre. Ils se surveillaient. C’étaient plus que des frères. C’étaient des frères amis. Peut-être les meilleurs du monde. Sentaient-ils confusément leur sort lié et leur avenir scellé, on le croirait à voir leur irréductible intimité. Ils ne se chamaillaient jamais. Partageaient leurs mets. Ils n’avaient jamais échangé une injure. Invétérés galopins, ils étaient aimés et craints du voisinage. Ils avaient un bon point à leur faveur, car ils n’avaient pas l’injure facile envers autrui et ne taquinaient pas les enfants de leur âge. Mais, il y avait toujours cet indéfinissable trouble dès qu’on leur cherchait querelle, dès qu’un d’eux était molesté, l’autre venait à la rescousse comme par enchantement. La télépathie des frères était évidente. Les plus avisés, parmi lesquels leurs propres parents, le comprirent assez tôt et ne taquinèrent plus les jumeaux. Même à l’école, autre fait impensable, la comptabilité de leurs points affichait un chiffre égal. Le mystère s’épaississait. Aucun frisson de mésentente ne vint s’immiscer dans le cours de leur vie. Mais, la vérité, ce qu’ils étaient différents. Ils le savaient. Partageaient cette découverte. Ils étaient tous taquins. Provocateurs et malins. Autant Kanku était agile, turbulent et éveillé, autant Mbuyi était calme, lent et méthodique. Midi. Partout, le soleil a chassé l’ombre. A cet instant tous se cachent, cherchant un providentiel et artificiel abri. Kanku et Mbuyi n’ont pas peur du soleil et pour le braver, leurs jeux n’ont aucun répit à cette heure inique. Fatidique. A cet instant précis, ils ont épuisé leur répertoire de jeux. Le temps d’une courte inspiration et ils se mettent à inventer une ou deux farces dont ils ont le secret. Soudain, avisant le grand palmier au bout de la rue, Mbuyi fit la proposition. « Et si on grimpait au palmier. Chacun à son tour. Comme c’est moi qui ai trouvé le jeu, à toi de commencer et veille à me décrire tout ce que tu verras d’en haut... -Compris. Je pense plutôt que tu as peur des hauteurs. Moi, je ne m’ennuierais pas dans un groupe de singes. » Ils partirent donc vers le géant palmier aux grandes palmes grillées. Personne en vue pour leur interdire l’assaut. Kanku se mit à plier sa culotte, cracha dans les mains, comme il l’avait vu faire plusieurs fois par les cueilleurs de vin de palme. Il était menu, svelte comme son frère. Sa petite poitrine adhéra au tronc rugueux et ses petits pieds s’y arcboutèrent. Ses deux bras enroulèrent le mât tordu et ses mains s’y agrippèrent fermement. Il avait débuté l’ascension. Lente, mais sûre. De temps en temps, il inclinait son visage et esquissait une grimace à l’endroit de son frère. Celui-ci avait, en une seconde infinitésimale, reçu comme une onde de choc dans son cerveau. Une vision fugace peut-être, ou un rêve éveillé. Quand il releva sa tête, Kanku était loin, cette fois, à califourchon sur l'arc du palmier. Il devait le rappeler. Il cria donc, mais tant de frayeur noya la petite voix. Il gesticula, mais son frère très prudent n’avait pas le visage dans sa direction. Il devait passer l’endroit le plus périlleux de l’obstacle. Il le franchit sans peine. Il poussa un cri de victoire quand il avisa la ramure des palmes. Les noix de palmes, toutes rouges et tentantes. Le régime de noix était sous l’aisselle de longues palmes recourbées. Kanku fit une autre découverte. Une cavité légèrement au-dessus de la grappe de noix de palmes s’étalait, bien en vue. Il s’en approcha. En bas, Mbuyi s’égosillait à perdre la voix et déjà, quelques badauds S’étaient approchés du jumeau pour joindre leurs voix et demander au grimpeur de descendre. Hélas, échauffé par son aventure, excité par ses découvertes, Kanku était sourd à toutes les vociférations hâlées dans le vent naissant pour s’évanouir au loin. Appels au secours évanescents. Plus près de la cavité, Kanku eut un sursaut de souvenirs. La chaleur était lourde. Kanku leva la main et au moment où il la plongeait dans le trou, il entendit cette fois distinctement ou dans une peur téléguidée, le cri de son frère: « Non! » Trop en tard ! Une forme noire avait jailli en même temps que la main. Une tête noire, deux yeux rouges. Une langue effilée. Un coup. Deux coups. Le serpent dérangé avait frappé deux fois, au visage et à la main. Cela n’avait pas duré une seconde. Surpris, effrayé, mordu par la vipère, l’enfant desserra son étreinte autour du tronc. Repoussé par une main invisible, il lâcha prise. S’engouffra dans le vide. Il battit l’air de ses petites mains, son corps fonçait vers le sol. Dans tout ce périmètre, les cueilleurs avaient disposé de grosses pierres pour empêcher les serpents d'évoluer vers les arbres. La tête arriva la première sur ces billots rocailleux et tout ce corps se ratatina sous le choc en un tas de chairs éclatées. Les témoins du drame avaient tôt fait d’appeler les parents des jumeaux. Mère-double arriva sur les lieux. Éplorée, pareille à une bête blessée, elle se lacerait le corps, s’arrachait les cheveux. Elle se jetait à terre, comme l’on jette un sac de farine. Elle se relevait et ses pleurs n’en finissaient pas. Kapi la grande sœur, malgré ce malheur impromptu, s’approcha de son frère et n’y tenant plus, elle interrogea Mbuyi, prostré dans la douleur: - Qui est mort? - C’est Mbuyi. Mbuyi tremblait. Le mystère allait résister. Il sera appelé Kanku. Les deux jumeaux survivront. Il avait décidé dans son cœur meurtri de vivre toujours avec lui.