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Ce ne sont pas, mes premiers souvenirs. que je prétends écrire ici. mais ceux-là seuls qui se rapportent à cette histoire. C’est vraiment l’année de la mort de mon père. que je puis dire qu’elle commence. Peut-être ma sensibilité. surexcitée par notre deuil. et, sinon par mon propre chagrin. du moins par la vue du chagrin de ma mère. me prédisposait-elle à de nouvelles émotions. : j’étais précocement mûri. lorsque, cette année. nous revînmes à Fongueusemare. Juliette et Robert. m’en parurent d’autant plus jeunes. mais, en revoyant Alissa. je compris brusquement que. tous deux nous avions cessé d’être enfants. Oui. c’est bien l’année de la mort de mon père. ; ce qui confirme ma mémoire. c’est une conversation de ma mère avec Miss Ashburton. sitôt après notre arrivée. J’étais inopinément, entré dans la chambre où ma mère causait avec son amie. ; il s’agissait de ma tante. ; ma mère s’indignait. qu’elle n’eût pas pris le deuil. ou qu’elle l’eût déjà quitté. (Il m’est. à vrai dire, aussi impossible d’imaginer ma tante Bucolin en noir. que ma mère en robe claire.) Ce jour de notre arrivée. autant qu’il m’en souvient. Lucile Bucolin portait une robe de mousseline. Miss Ashburton, conciliante comme toujours. s’efforçait de calmer ma mère. ; elle arguait craintivement : – Après tout. le blanc aussi est de deuil. – Et vous appelez aussi « de deuil. ce châle rouge. qu’elle a mis sur ses épaules ? Flora, vous me révoltez ! s’écriait ma mère. Je ne voyais ma tante que. durant les mois de vacances, et sans doute la chaleur de l’été. motivait ces corsages légers et. largement ouverts que je lui ai toujours connus ; mais, plus encore que. l’ardente couleur des écharpes que ma tante jetait sur ses épaules nues. ce décolletage scandalisait ma mère. Lucile Bucolin était très belle. Un petit portrait d’elle. que j’ai gardé me la montre telle qu’elle était alors. l’air si jeune qu’on l’eût prise pour la sœur aînée de ses filles. assise de côté. dans cette pose qui lui était coutumière. : la tête inclinée sur la main gauche. au petit doigt mièvrement replié vers. la lèvre. Une résille à grosses mailles. retient la masse de ses cheveux crêpelés à demi croulés sur la nuque. ; dans l’échancrure du corsage pend. à un lâche collier de velours noir. un médaillon de mosaïque italienne. La ceinture de velours noir. au large nœud flottant. le chapeau de paille souple. à grands bords. qu’au dossier de la chaise. elle a suspendu par la bride. tout ajoute à son air enfantin. La main droite. tombante, tient un livre fermé. Lucile Bucolin était créole. ; elle n’avait pas connu. ou avait perdu très tôt ses parents. Ma mère me raconta. plus tard, qu’abandonnée ou orpheline. elle fut recueillie par le ménage du pasteur Vautier. qui n’avait pas encore d’enfants. et qui, bientôt après quittant la Martinique. amena celle-ci au Havre. où la famille Bucolin était fixée. Les Vautier et les Bucolin se fréquentèrent. ; mon oncle était alors employé dans une banque à l’étranger. et ce ne fut que trois ans plus tard. lorsqu’il revint auprès des siens. qu’il vit la petite Lucile. ; il s’éprit d’elle et aussitôt demanda sa main. au grand chagrin de ses parents et de ma mère. Lucile avait alors seize ans. Entre temps. Mme Vautier avait eu deux enfants. ; elle commençait, à redouter pour eux. l’influence de cette sœur adoptive. dont le caractère. s’affirmait plus bizarrement de mois en mois. ; puis les ressources du ménage étaient maigres... tout ceci, c’est ce que me dit ma mère. pour m’expliquer que les Vautier .aient accepté la demande de son frère avec joie. Ce que je suppose. au surplus c’est que la jeune Lucile. commençait à les embarrasser terriblement. Je connais assez la société du Havre. pour imaginer aisément le genre d’accueil qu’on fit. à cette enfant si séduisante. Le pasteur Vautier. que j’ai connu plus tard doux. circonspect et naïf à la fois. sans ressources contre l’intrigue. et complètement désarmé devant le mal. – l’excellent homme devait être aux abois. Quant à Mme Vautier. je n’en puis rien dire. ; elle mourut en couches. à la naissance d’un quatrième enfant. celui qui, de mon âge à peu près. devait devenir plus tard mon ami... Lucile Bucolin ne prenait que peu de part à notre vie. ; elle ne descendait de sa chambre. que passé le repas de midi. ; elle s’allongeait aussitôt sur. un sofa ou. dans un hamac, demeurait étendue jusqu’au soir. et ne se relevait que languissante. Elle portait parfois à son front. pourtant parfaitement mat, un mouchoir. comme pour essuyer une moiteur. ; c’était un mouchoir dont m’émerveillaient. la finesse et l’odeur qui semblait moins un parfum de fleur que de fruit. ; parfois elle tirait de sa ceinture. un minuscule miroir à glissant. couvercle d’argent, qui pendait à sa chaîne, de montre avec divers objets. ; elle se regardait. d’un doigt touchait sa lèvre. cueillait un peu de salive et. s’en mouillait le coin des yeux.